Doctorat Sauvage

Retours sur la journée "Cinéma Direct"

Quelques lignes écrites après l’évènement du 4 février : Le cinéma direct : un art martial documentaire ?

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Un peu de philosophie...

Citation de Tchouang Tseu (environ -400 avant JC)

« Quand le boucher du prince Wen-houei dépeçait un bœuf, ses mains empoignaient l’animal ; il le poussait de l’épaule et les pieds rivés au sol, il le maintenait des genoux. Il enfonçait son couteau avec un tel rythme musical qui rejoignait parfaitement celui des célèbres musiques qu’on jouait pendant la « danse du bosquet des muriers » et le « rendez-vous de têtes au plumage ».

– Eh ! Lui dit le prince Wen-houei, comment ton art peut-il atteindre un tel degré ?
Le boucher déposa son couteau et dit : « j’aime le Tao et ainsi je progresse dans mon art. Au début de ma carrière, je ne voyais que le bœuf. Après trois ans d’exercice, je ne voyais plus le bœuf. Maintenant, c’est mon esprit qui opère plus que mes yeux. Mes sens n’agissent plus, mais seulement mon esprit. Je connais la conformation naturelle du bœuf et ne m’attaque qu’aux interstices. Si je ne détériore pas les veines, les artères, les muscles et les nerfs, à plus forte raison les grands os ! Un bon boucher use un couteau par an parce qu’il ne découpe que la chair. Un boucher ordinaire use un couteau par mois parce qu’il le brise sur les os. Le même couteau m’a servi depuis dix-neuf ans. Il a dépecé plusieurs milliers de bœufs et son tranchant paraît toujours comme si il était aiguisé de neuf. À vrai dire, les jointures des os contiennent des interstices et le tranchant du couteau n’a pas d’épaisseur. Celui qui sait enfoncer le tranchant très mince dans ces interstices manie son couteau avec aisance parce qu’il opère à travers les endroits vides. C’est pourquoi je me suis servi de mon couteau depuis dix-neuf ans et son tranchant paraît toujours comme si il était aiguisé de neuf. Chaque fois que j’ai à découper les jointures des os, je remarque les difficultés particulières à résoudre, et je retiens mon haleine, fixe mes regards et opère lentement. Je manie très doucement mon couteau et les jointures se séparent aussi aisément qu’on dépose de la terre sur le sol. Je retire mon couteau et me relève ; je regarde de tous côtés et me divertis ici et là ; je remet alors mon couteau en bon état et le rentre dans son étui.

– Très bien, dit le prince Wen-houei. Après avoir entendu les paroles du boucher, je saisis l’art de me conserver. »

Maintenant, vous pouvez relire cette citation et remplacer le boucher par le filmeur et le bœuf par la réalité du filmé qui lui face et qu’il tente d’appréhender avec la caméra. Les os sont les plans et le jointures les coupures. Le couteau est la caméra et son orientation, le point de vue....


Filmer n’est pas un acte intellectuel, c’est un acte de perception et un art qui équivaut à celui du boucher sauf que le bœuf est remplacé par une réalité vécue par le filmé et qui se trouve en perpétuelle évolution.

Si on prend une autre analogie, la réalité est un flux qui s’écoule en permanence comme l’eau d’une rivière devant nous. Nous pouvons la regarder passer en restant sur la rive ou nous pouvons embarquer sur un canot et tenter de descendre cette rivière à son rythme et prendre les bonnes décisions au bon moment pour éviter les rochers.

Alors, on se rend compte qu’il y a un bon moment pour agir, ni trop avant le rocher, ni trop tard avant le rocher. Ce moment est le moment juste.

Comme le boucher trouve l’endroit exact et juste où placer son couteau dans la chair du bœuf pour éviter d’user son couteau, le canotier trouve le moment juste pour agir et éviter les rochers qui se présentent devant lui dans le cours de la rivière.

Il existe toujours en toute situation un moment juste pour agir, un acte juste pour atteindre un objectif quelle qu’il soit. De plus, il existe toujours un ou des moyens d’arriver à ses fins.
Le problème n’est pas de savoir si ces moyens existent mais si nous sommes prêts à les emprunter. Car tout action entraîne des conséquences. Autrement dit, nous n’avons rien sans rien....

C’est-à-dire si nous sommes prêt à vivre les conséquences de moyens que nous mettons en œuvre pour arriver à nos fins. Mais cela se produit quand nous sommes au moins parvenu à regarder la réalité et à voir l’existence de ces moyens.

Cela rejoint la « Voie du milieu » enseignée par les bouddhistes :

« Partant de ses propres expérimentations le Bouddha a exposé dès ses premiers sermons le concept de voie médiane. La voie qui est intermédiaire entre la complaisance sensuelle et la mortification. Celle qui est intermédiaire entre la rigueur égo-centrée de la prise de contrôle intégrale de son être, et la rigueur d’une discipline fondée sur le présupposé d’un pur esprit inné que l’on parviendrait à réaliser par "soustraction" progressive du corps. Abandonnant les deux pratiques extrêmes, il abandonne aussi toute idée d’un résultat à atteindre. Il ne lui reste plus qu’à se rendre disponible pour laisser œuvrer à travers lui la vie universelle (loi cosmique). Il découvre que la clé est très simple : l’immobilité du corps qui entraîne celle du mental. Tout l’être est alors à l’unisson de la vie universelle sans distraction du Soi. C’est la "voie du milieu". »

J’ai expérimenté à plusieurs reprises en cinéma direct le fait de glisser sur le réel en train de se dérouler avec ma caméra et de sentir que je suis au bon endroit au bon moment et avec le bon cadre et que ce cadre évolue à l’unisson de ce qui se déroule. À ce moment là, je ne réfléchis pas, je suis totalement absorbé par ce qui se passe. C’est comme si ma caméra bougeait toute seule. C’est ce que j’appelle la synchronisation du filmeur avec le filmé. C’est le but du cadreur en cinéma direct, comme le boucher qui trouve immédiatement la jointure des os avec son couteau sans réfléchir.

Pour cela, en effet, comme la Voie du milieu l’enseigne, il faut vouloir juste assez mais ne pas trop vouloir pour ne pas provoquer de parasites dans la connexion. Il faut chercher l’humilité, l’effacement de soi, se mettre au service. Tout mouvement de caméra doit trouver sa justification entraînant la modération des mouvements nous entraînant vers la sobriété.

Quand on le touche, on est comme sur une lame de couteau de laquelle nous pouvons tomber d’un côté ou de l’autre à chaque instant. Si on ne réfléchit pas, on a des chances d’y rester...

Maintenant, je vais développer plus avant les principes du cinéma direct qui reprennent et développent des éléments qui ont été discuté lors de la première rencontre de samedi dernier, 4 février 2017.



Introduction : Ce que j’ai découvert dans ce travail et que j’ai toujours cherché

Dans notre travail avec Michèle Bourgeot, en rentrant dans ce réel en train de se dérouler devant la caméra, je me suis rendu compte que quelque chose de spécial se produisait durant nos tournages.

Michèle par la relation qu’elle a créée avec ses personnages, m’a permis en tant que cadreur de pouvoir me libérer de toute considération sur ce qui est possible de filmer ou pas.
Je filme ce qui se présente devant moi et je ne me pose pas de question si je peux le filmer ou pas. Aussi, je ne coupe pas la caméra et laisse se dérouler les séquences dans leur longueur.

Le plus important est de tenir ses plans. Il ne faut pas lâcher le cadre, et faire en sorte qu’il soit montable de manière quasi permanente. Cela implique de faire attention à ses mouvements de caméra, aux zooms, aux réglages de point et de diaph. Mais au bout d’un moment, cela devient des automatismes. On pouvait filmer parfois 20, 30 minutes parfois plus, une heure sans couper.

De cette manière, j’ai pu me concentrer sur mes personnages et les étudier et les cerner de plus en plus pour parvenir souvent à une quasi synchronicité avec ce qui se passe comme une danse que nous ferions ensemble avec les personnages. Ils se tournent, je tourne ma caméra en même temps vers la personne qu’ils regardent et celle-ci commence à parler au moment où j’arrive sur elle, etc...ça ne marche pas toujours mais parfois la synchronicité s’installe rapidement et sur de long moments du tournage.

Dans cette synchronicité, mon cerveau est divisé en deux : je perçois la situation d’ensemble et l’énergie qui se dégage devant moi, c’est le cerveau droit, et j’ai aussi la nécessité analytique de découper l’espace pour donner du matériel montable, c’est le cerveau gauche.
Je dois les faire fonctionner alternativement, passer de l’un à l’autre.

Je change mes valeurs de plan en respectant un changement à deux valeurs et je n’hésite pas à me servir du gros plan. J’élargis mon cadre et intégre mes personnages dans le même cadre quand un mouvement s’amorce puis je resserre sur la parole de l’un et je fais le contre-champ sur la réponse de l’autre mais en me désynchronisant volontairement en restant sur l’écoute de celui qui vient de parler pour avoir un plan d’écoute. Aussi, je joue avec la synchronisation et la désynchronisation de mes personnages. Je découpe mon espace en plan général, champ, contre-champ. Je varie mes valeurs de plan mais après, c’est la perception qui guide mes actions et mes choix.

Mon attention est toujours centré entièrement sur mes personnages et sur le fait de les rassurer.
Je ne rentre quasiment pas dans le contenu mais j’absorbe leur état, notamment émotionnel, je m’imprègne de leur comportements, de leur mouvements, de leur gestes, sans analyser, simplement en les regardant et je laisse mon cerveau enregistrer ces images mentales.
Parfois, je me rends compte que je n’ai pas écouté ce qu’ils disent, mais que mon attention s’est plus porté sur le langage non verbal de leur corps et que mes mouvements de caméra sont plus guidés par ce langage non verbal du corps.

On remarque que, au bout d’un moment, les personnages nous oublient et font leur vie comme si on n’était pas là. Ce n’est pas tout à fait vrai à un certain niveau conscient. Ils perdent la conscience directe qu’on est là car leurs préoccupations reprennent le dessus mais ils savent qu’on est là.
C’est juste que le fait qu’on soit là n’est plus la chose la plus importante dont ils ont conscience à ce moment là.

Et ce qu’ils donnent dépendra toujours de ce qu’ils ont envie de donner à la caméra en fonction de la relation qui s’est établie avec le filmeur.

J’ai fait cela de manière très intuitive en le faisant. C’est par la suite que j’ai tenté de comprendre les mécanismes en jeu et de proposer une formalisation plus théorique.

Le cinéma direct a pour ambition de filmer le réel tel qu’il se produit sans la caméra (en fait ce n’est pas possible) et de l’appréhender comme il veut bien se présenter, dans toute sa complexité, en accueillant l’équivoque du réel, ses contradictions, ses non-dits, etc...


Le cinéma vérité ? Mais pour quelle vérité ?


Koenig : « Comme un Cartier-bresson, une caméra doit être ouverte aux moments qui révèlent ce que, sans elle, on ne verrait pas. Dans le film « Bientot Noël », le camion de la Brink’s, c’était la situation. On entrait et on sortait des magasins avec l’argent. Pour choisir une scène, il faut être très observateur et attentif. Et puis la caméra suit. On n’a pas le choix. Ne pas intellectualiser. L’intellect est un terrible ennemi...Qu’est-ce que le cinéma vérité ? C’est du théâtre. Tout documentaire est théâtre. Tout est fabriqué. Chaque coupe est mensonge. Ces deux scènes ne se suivent pas. Mais on ment pour dire la vérité. »

La question n’est pas de chercher à filmer le réel le plus vrai possible car le recherche de la vérité est une chimère.
Nous savons aujoud’hui que tout observateur d’une réalité agit sur cette réalité ne serait-ce que par sa présence. La physique quantique l’a démontré.

Définition : le filmeur représente une entité comprenant l’équipe de tournage que ce soit une cadreur seul ou plusieurs personnes.

La présence d’un filmeur dans un événement impliquant des personnes modifie cet événement quelle que soit le comportement du filmeur, qu’il tente de se faire oublier ou qu’il agisse directement sur cet événement. Ce qui change est la nature et l’ampleur des modifications qu’il provoque.

Aussi, la recherche de la vérité ou de l’objectivité est une dangereuse chimère qui peut conduire à la simplification, à l’idéologie et au glissement vers la recherche progressive de « notre réalité », telle qu’on veut qu’elle soit, et à sa distortion si elle ne correspond pas à ce qu’on veut.
C’est le début de la violence...de l’objectisation de l’autre, de ce qui construit une forme fascisante.

Chacun a sa propre vérité, ses propres croyances, sa propre manière de percevoir le réel.
Il est aujourd’hui prouvé dans les neurosciences que les perceptions traversent de multiples filtres, dont les filtres émotionnels et mémoriels, avant d’atteindre la conscience.
Cela explique que nous ne percevions pas du tout certaines choses alors que d’autres les percevront.

Par exemple, personne dans cette salle ne retiendra la même chose à ce que j’explique car vos filtres agissent là maintenant en percevant ce que je dis et les passent à la moulinette de vos croyances, de nos émotions et de vos références mémorielles.

Donc il est maintenant acquis que nous ne pouvons pas filmer un réel objectif, un réel authentique tel qu’il aurait pu exister sans la présence du filmeur.

Et de toute façon, le choix du cadre démilite de manière subjective ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas et dès lors élimine toute possibilité de représenter une quelconque vérité dans le cinéma.

Mais comme le dit si bien l’un des créateurs du cinéma direct Michel Brault : « Je ne sais pas très bien ce que c’est la vérité. La vérité, c’est quelque chose d’abord d’inatteignable, on ne peut pas penser écrire la vérité avec une caméra. Mais ce qu’on peut faire, c’est révéler quelque chose à des spectateurs qui les fait découvrir leur propre vérité à eux. »

L’image du film est une image co-créée par le filmeur et le filmé

​Richard Leacock : « Ce qui m’a toujours obsédé, c’est la sensation d’être là et non de découvrir, d’analyser cela ou de faire une bonne œuvre. Juste le sentiment d’être là. »

Que ce soit en documentaire ou en fiction, nous filmons une réalité sur laquelle nous interagissons en partie et donc qui est en partie créé par nous et en partie co-créée par ceux que nous filmons.
Ce qui se déroule devant la caméra est toujours une réalité co-créée par celui ou celle qui filme et celui ou celle qui est filmé. C’est un fait indépassable.

Il y a un troisième élément, c’est la relation entre le filmeur et le filmé. Et cette relation est aussi un acteur de la co-création de la réalité qui se montre devant la caméra.

Maintenant, nous avons trois éléments.

Que se passe-t-il pour ces trois éléments ?
On a le filmeur qui a des préoccupations : la forme et le fond de ce qu’il souhaite raconter.
On a le filmé qui a d’autres préoccupations : il est filmé et il a des raisons pour être filmé, pour se laisser filmé ou pas.

La relation représente ce qui se passe entre ces deux entités, le filmeur et le filmé, et ce qu’ils ont déjà construit ensemble, et cela a un impact important sur les composantes de l’image, ne serait-ce que la distance concrète séparant le filmeur et le filmé.

Le filmeur

Robert Drew : « C’étaient des cours illustrés avec des images, des interviews, ce qui est pareil. On ne sentait pas la vie au cinéma, ni à la télévision. Il fallait remplacer la logique verbale par une logique dramatique où il se passait des choses. Nous jetterions ainsi la base d’un nouveau journalisme que je pourrai définir ainsi : Ce serait du théâtre sans comédiens, une pièce sans auteur dramatique, ce serait comme faire un reportage, sans abréger, ni exprimer une opinion, on observerait les gens à des moments cruciaux pour en déduire certaines choses, dégager un genre de vérité qu’on obtient que par expérience personnelle. »

Si vous pensez que le plus important c’est la forme et donc ce que fait le filmeur et l’angle sous lequel il aborde la scène, alors vous mettez l’emphase sur la réalisation, sur le sens que va vouloir donner le filmeur à la réalité qu’il co-créé avec le filmé. Vous misez sur la puissance d’évocation du cinéma. On trouve les cinéastes, les amoureux du cinéma.

C’est une des composantes du sens de l’image.

La forme

Si on pense que la forme est plus importante et donc le filmeur, on fait pencher la balance de la relation vers le filmeur et celui-ci prend un position haute sur le filmé, il lui devient supérieur.
C’est ce que l’image fera ressortir de cette relation. L’intérêt du filmeur ira principalement à la partie de la co-création qui le concerne, à celle sur laquelle il peut agir directement en pouvant se passer de l’apport du filmé. Il le rend à l’état d’objet de sa propre création. Le filmé se met au service du filmeur pour sa propre création. La marge de co-création du filmé est réduite à celle que veut bien lui laisser le filmeur. C’est le principe de la fiction classique. Le réalisateur est tout puissant dans son pouvoir de création et tous tentent de lui donner ce qu’il veut. Combien de fois ai-je vu des réalisateurs s’adresser au cadreur avant le comédien et ne pas faire de retour du tout aux différentes propositions des comédiens tentant de faire leur boulot...c’est un symptôme de la distorsion de la relation.

Le fond

Si vous pensez que le plus important, c’est le contenu, le message, vous ne cherchez pas à trop réfléchir à votre point de vue, ni à la qualité de l’image et vous vous attachez au contenu et vous vous retrouvez dans un cinéma militant par exemple qui met l’emphase sur le contenu, sur ce qu’il véhicule.

Cependant, la question est ici un peu plus subtil car quand on pense que le contenu et les personnes qu’on filme sont plus importantes que la forme, il faut discerner si c’est pour ce qu’elles sont ou pour ce qu’elles répondent de notre propre intention, de notre propre discours.
Or, quand le filmeur s’attache à l’importance du contenu, il s’attache souvent à ses idées, à ses valeurs qu’il veut communiquer par l’intermédiaire du média qu’est le cinéma. Mais alors, le risque est que les personnes qu’il filme ne sont intéressantes que pour servir son discours.

Dans les deux cas : distorsion de la relation

Dans les deux cas, la relation entre le filmeur et le filmé est mise à mal. En fait, le filmeur ne recherche que lui-même à chaque fois, il satisfait son égo dans les deux cas. Il se regarde lui-même mais ne regarde pas vraiment l’autre, dans ce qu’il est vraiment, dans toutes ses composantes, puisqu’il enferme l’autre dans la cage qui lui plait comme on enferme un lapin dans une cage pour pouvoir jouer avec lui quand on en a envie....

De ce fait, la réalité qui est présentée dans le film est surtout co-créée par le filmeur. Il ne fait que montrer SA réalité au spectateur. La fiction a ceci de sincère est que c’est assumé.

Dans le documentaire ou pire dans le reportage, c’est plus problématique et plus pernicieux.
En fait, quand on procède de cette manière, on enlève à l’autre son autonomie et son intégrité. Il devient un jouet, un objet pour le filmeur.
C’est donc une violence qui est faite au filmé.
c’est non seulement un déni de sa part de co-création mais c’est une violence qui lui est faite à son identité, à la représentation qu’il se fait de lui-même, et au don de lui-même face à la caméra, à l’utilisation de son image, sur laquelle il n’aura plus aucune prise par la suite.

Dans les deux cas, c’est le filmeur qui construit le discours de manière presque total. Le filmé est un instrument de la forme ou du fond. Le rapport entre le filmeur et le filmé est déséquilibré en faveur du filmeur.

Le filmé

Le filmé a ses propres raisons pour être filmé.

Toute personne qui se prête à être filmée fait un don de sa personne, qui ne peut recevoir de contre- partie concrète mais plutôt symbolique. La fiction utilise l’argent comme contre-partie, le documentaire n’a pas grand chose à proposer en échange.

Dans un documentaire, cela peut être pour défendre sa cause, pour satisfaire son égo, pour avoir le plaisir de partager ce qu’il sait, de faire connaître des choses, ou par la bonne relation qu’il a avec le filmeur...

Dans tout les cas, le filmé fait un don de sa personne, de son image et de son identité qu’elle véhicule au filmeur.

Il a sa partie dans la co-création puisqu’il va agir, parler, et animer l’image par sa présence qui fait qu’elle devient intéressante.

Or, quand ce don est fait, si le filmeur ne fait pas grand cas du filmé, il lui nie ce don qu’il fait. Il lui fait donc violence. C’est ce qui peut expliquer les difficultés pour filmer dans certains endroits après le passage de cinéastes peu scrupuleux...

Mais si le filmé veut maîtriser totalement son image, comme peuvent le faire de grandes stars, ils dominent le filmeur et lui impose la manière dont il veut être représenté et réduit le filmeur au rôle d’exécutant, non de co-créateur. Et la relation est encore une fois déséquilibrée. L’un prend l’ascendant sur l’autre et lui impose ses choix.

Mais cela ne nous concerne pas trop à primitivi...

L’attention à la relation change la nature du processus

Pierre Perrault : « Tu te places dans une situation vivante. Les gens par leur vie, vivent leur parole. Dans le film « Pour la suite du Monde », la vie mettait en scène et les gens écrivaient leur dialogue. Ma véritable intervention, c’est d’avoir participé à la pêche, d’avoir tendu la pêche avec les gens. Je deviens participant, complice et les gens de l’île sont à l’aise avec moi parcequ’ils voient que je faid partie de l’île en quelque sorte. Ils m’imprègnent de qu’ils sont. Pour moi, c’ets fondamental. Je ne fais pas mes films. Je ne suis pas là pour faire mon film. Je vais là pour faire leur film. »

Maintenant, si on prend le troisième élément, la relation, les choses changent. Ce n’est ni l’un, ni l’autre, ni la forme, ni le fond mais la qualité de la relation qui réunit le filmeur et le filmé dans un moment présent, dans la co-création d’un événement à un temps t, dans un présent, sur laquelle l’emphase en mise.

En fait, c’est toujours la relation entre le filmeur et le filmé qui est filmé de manière prépondérante quelle que soit la croyance qu’on a de ce qui est le plus important.

Ce qui a quasiment le plus d’impact dans une image est le type de relation que le filmeur établit avec les personnes qu’il filme. La distance qu’il établit avec eux, la manière de les présenter, etc...

Si à partir de là, on part du principe du fait que l’image créée est une co-création entre filmeur et filmé, ou plutôt entre un filmeur qui décide et assume de co-créer cette image avec le filmé, la manière de filmer change radicalement.

Car pour qu’une relation soit au meilleure, il faut que le filmeur s’intéresse vraiment au filmé, à ce qu’il est et à ce qu’il peut donner à la caméra, à ce qu’il est en mesure de faire comme don à l’œuvre en train de se créer...

Aussi, l’attention du filmeur se tourne plus directement vers le filmé en tant que personne, et la forme et ce qu’il imagine du contenu du film perd de son importance dans l’instant présent qu’il vit avec la personne filmée car le plus important, c’est elle, c’est le don qu’elle fait d’elle-même à l’oeuvre, au film, au filmeur qui fait son film et le meilleur moyen de rendre la pareille au filmé que possède le filmeur, c’est de le respecter dans son intégrité et d’accueillir ce que veut bien lui donner le filmé et l’ensemble des différences facettes de la réalité du filmé quelle qu’elles soient...

De quoi est-ce que je parle ici ? Je parle simplement du fait que le filmeur doit quitter ses préconceptions pour entrer dans une véritable communication avec la personne filmée.
Autrement dit, il doit se départir de son mental et lâcher prise sur ce qu’il croit, sur ce qu’il veut, et concentrer uniquement son attention sur la ou les personnes qu’il filme.

Un plan est un morceau de présent fixé sur une pellicule, maintenant sur une carte mémoire.

C’est un morceau de présent et dans ce présent, il s’est déroulé des choses, des gens ont ressenti de choses, etc...plus l’attention du filmeur se fixe sur le densité de ce présent, plus celui-ci va devenir profond, signifiant, dense...

Car nous ne percevons qu’une petite partie de la réalité, et notamment de la réalité de ce que vit celui qui est filmé qui lui-même est vraiment conscient dans ce moment de présent que d’une petite partie. Il faut creuser dans notre perception du réel, inlassablement, pour percevoir des couches de plus en plus profondes. Il n’y a pas de limites à la profondeur de notre perception.

Les mystiques l’ont compris entre autres.

En fait, si le filmeur reste sur ses préconceptions, il orientera ses images vers la partie de la réalité qui correspond à ses préconceptions, pas le reste. Cependant, l’image parfois peut lui échapper et révéler bien plus que ce qu’il veut montrer...mais le montage fera le reste...

Aussi, l’intention du filmeur est là de raconter ce moment de présent qu’il a partagé et co-créé avec le filmé. Le film se construit plus par le sens supplémentaire que prenne ces différents moments de présent agencés dans le film par le montage.

De la transmission des émotions...

Robert Drew : « le matériel, c’était une chose. Savoir quoi en faire, c’en était une autre et cette idée de capter l’émotion humaine spontanément quand elle se produit, c’est l’élément clé qui a fait que Primary a marché, et que nos autres films et le cinéma vérité marchent, dans tout les registres de la télévision...quel genre d’histoire peut-on raconter ? Partout où les gens font des choses, on peut exprimer la vie par le cinéma vérité. »

Prenons une émotion. La tristesse.
Le filmé ressent une émotion de tristesse au moment où il est filmé. Cela survient dans le cours des événements. Il voit par exemple une photo de sa mère décédée sur une table dans la scène.
Il a plusieurs choix. Il peut se détourner de la caméra, faire couper ou offrir ce moment d’intimité au filmeur, et l’offrir en dernier recours au spectateur, si la relation entre eux fait que cela devient possible.

A ce moment là, quel est le rôle du filmeur ? Dans quelle mesure doit-il rajouter du sens intentionnellement à ce que donne le filmé à la caméra pour le spectateur ? Est-ce juste ?

En fait, ce que filme le filmeur, ce n’est pas une personne qui pleure devant sa mère, c’est une personne qui lui offre ce moment de tristesse qu’il expérimente devant sa caméra. Ce n’est pas pareille.

C’est comme quand Magritte écrit sur son tableau : « ceci n’est pas une pipe. »
c’est à peu près la même chose : le filmeur filme quelqu’un qui lui offre une émotion de tristesse, pas quelqu’un qui est triste. Parce que cette personne triste peut décider de ne pas donner cette émotion à la caméra mais restera tout de même triste ou de ne pas le montrer extérieurement. Une émotion est toujours vécue de l’intérieur et se donne uniquement à voir par les comportements qu’elle génère.
Aussi, en se laissant filmer, la personne offre une représentation d’elle-même triste, qu’elle expérimente vraiment bien sur. Même si consciemment, elle a oublié la caméra.

Aussi, quelle est l’attitude juste du filmeur ? L’attitude que je considère juste est de respecter ce don qui lui est fait.

Et pour le respecter, c’est de le traduire de la manière la plus fidèle afin que le spectateur la reçoive de la manière la plus pure pour qu’il puisse expérimenter aussi lui-même cette émotion de tristesse et entrer dans une forme d’empathie vis à vis de la personne filmée. Et là, le filmeur fait bien son boulot...

Le rôle du filmeur n’est pas de distordre le message mais de la faire passer de la manière la plus transparente possible, comme un tuyau le plus droit possible pour que ça glisse le plus simplement possible entre le filmé et le spectateur.

En gros, il doit se faire oublier. Cela marche très bien dans une fiction. On oublie la caméra, ses mouvements et le processus d’identification avec les personnages fonctionnent très bien.

On peut faire la même chose en cinéma direct mais pour cela il faut respecter certaines règles, les règles du cinéma mais en temps réel sans savoir ce qui va se passer, sans répétition.

Le jugement est un poison

Albert Maysles : « Ce qui enthousiasmait, c’était de faire un cinéma incontrôlé. Nous ne cherchions pas à contrôler ce que disent les gens, ce qu’ils font, les idées exprimées. Ce qui était extraordinaire, c’était la découverte, plutôt que l’invention...la réalité est providence, elle fournit des sujets, elle fournit des événements, ce qui compte, c’est d’adhérer à la réalité, c’est elle qui mène, si on a trop peur d’être subjectif, on a peur de filmer. Qu’est-ce qui rend confiant, qu’on sera juste, qu’on produira quelque chose de vrai, qui commandera le respect des gens qu’on aura filmés ? C’est l’empathie, c’est l’amour et le respect qu’on leur accorde. En sympathisant avec le sujet, même si il a des idées et fait des choses contraires à ce qu’on pense et à ce qu’on sent, en les écoutant avec l’empathie et l’ouverture du thérapeute envers son patient, on permet aux gens d’être eux- mêmes , ni mieux, ni différents, ni pires. C’est ma conviction. Si on respecte ceux qu’on filme, on aura accès à n’importe qui. Et ça peut se faire en un clin d’oeil, les gens vous font confiance ou pas. Ca dépend de ce que j’appelle le regard. »

Ici intervient l’importance de ne pas juger l’autre.
Même si vous filmez votre pire ennemi, le juger vous enlève une grande partie de ce qu’il peut vous donner et ce n’est pas ce que vous voulez. Vous voulez obtenir qu’il vous donne le plus de lui, qu’il se livre le plus. Pour cela, il faut être neutre, ne pas juger et accueillir tout ce qu’il donne.

Si vous portez un jugement, la relation s’en ressent immédiatement. C’est un préalable en thérapie mais c’est aussi un préalable en tournage documentaire.

La relation ne peut en fait vraiment avoir lieu, les barrières ne peuvent tomber que si vous ne portez pas de jugement sur l’autre, si vous l’accueillez simplement comme il est.

La synchronisation


Pierre Perrault : « Tu te places dans une situation vivante. Les gens par leur vie, vivent leur parole. Dans le film « Pour la suite du Monde », la vie mettait en scène et les gens écrivaient leur dialogue. Ma véritable intervention, c’est d’avoir participé à la pêche, d’avoir tendu la pêche avec les gens. Je deviens participant, complice et les gens de l’île sont à l’aise avec moi parce qu’ils voient que je fais partie de l’île en quelque sorte. Ils m’imprègnent de qu’ils sont. Pour moi, c’est fondamental. Je ne fais pas mes films. Je ne suis pas là pour faire mon film. Je vais là pour faire leur film. »

Pour le cadreur, l’important est d’apprivoiser l’autre, pas de le juger. Il lui faut s’habituer à ses mouvements, à sa manière de se mouvoir, de s’exprimer pour pouvoir anticiper ce qu’il va faire, dire, entreprendre, ressentir. C’est la seule chose qui importe pour être le plus fidèle à ce que l’autre donne.

Et là, on entre dans le cinéma direct....

Quand on y est, dans le cinéma direct, on se synchronise sur l’autre et on bouge au même rythme que l’autre. On tourne la caméra exactement au même moment qu’il tourne la tête sans décalage. On démarre en même temps que lui. On passe sur l’autre personnage et on arrive pile au moment ou l’autre commence à répondre. On est parfaitement synchrone avec ce qui se passe. On serre sur le visage d’une personne qui expérimente une émotion pour arriver au moment où il pleure. On est avec le filmé. On film l’autre et l’altérité. On ne filme plus soi-même. On ne fait que transmettre un message...


Le filmeur est un intermédiaire entre le filmé et le spectateur

Karel Reisz : « C’était tout le contraire du documentaire écrit et planifié à l’avance, qui développe une thèse, il fallait vouloir ce qu’on obtenait plutôt que chercher à obtenir ce qu’on voulait....Les films n’avaient rien à prouver. Ils ne comportaient ni polémiques, ni conclusions. Ils invitaient les spectateurs à s’identifier avec les détails. »

Je vous rappelle l’étymologie du mot « Media » : En latin, media est le pluriel de medium (milieu, intermédiaire).

Cela veut dire que le filmeur est un intermédiaire. Originellement, le média permet au filmé de faire passer un message au spectateur.

Évidemment, le sens de ce qui est filmé et le montage construisent un discours qui échappe au filmé et dont le filmeur a la maîtrise. Cependant, dans une certaine éthique, le filmeur se refusera de trahir le message du filmé et au contraire tentera de le transmettre le plus fidèlement, avec le plus de force, si il adhère au discours du filmé. Or, le meilleur moyen, c’est de simplement rentrer dans un contact réel au travers du tournage après une période d’apprivoisement permettant une mise en confiance.

On permet à une personne de transmettre ce qu’il vit à des spectateurs qui peuvent entrer en empathie, comprendre, ressentir ce qu’il ressent et modérer leur jugement, entrer en contact avec l’altérité, avec la différence et se mettre vraiment à la place de.
Et non pas juger l’autre sur ce que le filmeur veut qu’il pense du filmé....

Ce genre de rushes fait le bonheur des monteurs qui se trouvent avec un matériel très riche de multiples possibilités de montage. Là, intervient aussi un autre stade de respect ou de non-respect des moments de co-création des ces moments de présents entre filmeur et filmé.

Pour être dans le cinéma direct, il ne faut pas penser, il faut ressentir.
Le cinéma n’est pas une forme intellectuelle en soi, c’est un art dans le sens où il fait appel aux ressentis, aux ressentis que l’on perçoit du réel et des personnes filmées.

Il a été trop intellectualisé. Il demande un savoir-faire et ensuite de la sensibilité, pas de la réflexion, pas de la pensée. Au contraire, moins on pense, mieux on fait.

Cela veut dire concrètement que le filmeur va réduire son action a des choses qui se justifient par l’action qui se déroule devant lui. Il ne va pas surinvestir de sens cette action par des effets de caméras, par des mouvements injustifiés par l’action et s’oriente plutôt vers la sobriété, ce qui lui permet de s’obliger à se mettre à l’écoute de ce qui se produit devant lui.

Aussi, cela ne veut pas dire que le filmeur ne fait plus rien, ce la veut dire qu’il accompagne le filmé dans ce qu’il vit, il le suit dans ses moindre gestes, dans ses émotions, dans ses ressentis et alors il donne le maximum de chance au spectateur d’expérimenter le plus intérieurement possible ce que vit la personne filmée.

Cependant, la seule justification à des mouvements non justifiés concerne le découpage de l’espace et notamment des changements de valeur. Mais même là, on peut parvenir à découper l’espace tout en restant sur des mouvements justifiés par l’action et les personnages.

Ils fabriquent une co-création ensemble dans un moment de présent qui se densifie, s’approfondit, une relation entre eux qui se tend, et le fil qui les unit grossit pour faire passer plus de choses, plus de ressentis, plus de messages pour la plupart inconscients, au spectateur. Pour le filmeur, c’est quand il ressent lui-même les effluves des ressentis du filmé qu’il peut déterminer qu’il est dans le juste.

En fait, à un certain stade, le filmeur est totalement avec le filmé dans cette co-création et le découpage de l’espace se produit même sans réfléchir.

Cependant, il faut toujours respecter l’autre, ne pas le brusquer et ne pas lui faire violence car on risque de provoquer des comportements de résistance de sa part, une fermeture de quelque manière, et ce n’est pas ce qu’on veut. En gros, il faut apprivoiser la personne et la mettre en confiance avec la camera même si la réalisatrice a fait un gros boulot auparavant.

Ici, la distance entre le filmé et la caméra est primordiale et la caméra doit se trouver à la distance de sécurité supportable du filmé. Au début, on peut se trouver à plusieurs mètres puis se rapprocher au fur et à mesure que le filmé se détend. On sent la limite à partir de laquelle le filmé commence à se sentir moins à l’aise et on se doit de la respecter. C’est en la respectant qu’on pourra se rapprocher et c’est un respect qu’on doit à la personne du fait de son don à la caméra.


Si on commence à intellectualiser, on se coupe de l’autre.

Cependant, comme l’a dit Michèle, il faut découper l’espace et donc il faut réfléchir dans le même temps à ce qu’on fait pour donner des rushes qui permettent de reconstruire l’espace et la situation.

Pour cela, il y a un savoir-faire à acquérir et qu’il faut oublier la plupart du temps une fois acquis inconsciemment ensuite pour se consacrer.
Par exemple, pour conserver des écoutes d’un personnage, quand il arrête de parler, on reste sur lui quelques secondes avant de basculer sur l’autre personnage. Là, on désynchronise volontairement pour créer une matière utile au montage. Cela se fait dans des discussions statiques entre des personnages.

Par contre, dans le mouvement, on se synchronise quasi tout le temps. Une personne avance et regarde une autre personne, on avance avec elle et on suit son regard pour montrer la personne regardée. Une clé est de se dire qu’on ne montre que ce qui est commandé par l’action. C’est à dire qu’on ne cherche soi-même à montrer, c’est la situation ou un personnage qui nous y amène. C’est-à- dire que le regard du personnage se tourne vers quelqu’un. On va voir ce quelqu’un. Ce quelqu’un s’avance vers une autre personne ; on s’avance avec lui vers cet autre personne. Cet autre personne se met à crier et s’agite dans tout les sens devant le regards effarés des deux autres personnes présentes. On élargit pour montrer une scène avec une dynamique globale dont on ne sait pas très bien où elle va mener et qui va agir.

Un personnage parle adossé à un mur. Il raconte une histoire intime à un ami et on sent une émotion qui monte, on resserre doucement sur ce qu’il livre, sur son visage. C’est du bon sens. C’est du ressenti...

C’est-à-dire que tout mouvement de caméra doit être justifié par ce qui se passe devant la caméra. La caméra est au service de l’action et non l’inverse en cinéma direct.

Il y a donc une attitude très humble à adopter dans cette école.
Pour faire bien, on doit chercher à s’effacer, à disparaître devant l’action, et le spectateur oubliera la camera et rentrera dans l’histoire qui se déroule devant lui. Il ne se sentira pas manipulé. Il pourra partager l’expérience de la personne filmée en toute sincérité et se mettre à la place de. Il pour le comprendre dans ce qu’il vit.

Cette attention est une discipline à établir, une retenue à mettre en place, une sobriété à purifier. C’est pour cela que je parlais d’art martiaux. Plus on épure, moins on en fait, plus on épure, plus le moindre mouvement de caméra sera signifiant, plus le réel filmé deviendra dense émotionnellement et sur le sens qu’il véhicule.

Mais il y a des préalables à mettre en place. Cela ne peut se faire en claquant des doigts et des pré- requis doivent être présent pour que le filmeur puisse parvenir à se synchroniser. Cela n’arrive pas immédiatement. Il y a un travail important avant que cela soit possible, puisse advenir.
Et ce travail tient principalement à la relation préalable au tournage mise en place entre le filmeur et le filmé. C’est un processus qui peut avoir sa durée mais qui peut se produire en quelques secondes, et qui doit être parvenue à une confiance suffisante, à un accord clair entre les parties sur ce qui se joue dans le fait du tournage.

Richard Leacock à propos d’un tournage sur bal : « Je n’oublierai jamais ça. Je suis tombé amoureux vingt fois. Je montais sur les tables, j’étais sur la piste de danse, je sautais partout, je filmais, filmais, filmais. C’était la liberté ! Au diable les trépieds ! Au diable les chariots ! Et le reste ! On peut bouger. »


Marseille, le 6 février 2017, Emmanuel Broto, Association Primitivi