Bolivie : Crise de civilisation et "Vivre Bien".

Nous présentons l’exposé qu’a fait Katu Arkonada, enquêteur et annaliste du Centre d’Études Appliquées aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels (CEADESC) et collaborateur de la Coordination Andine des Organisations Indigènes (CAOI).

L’exposé donné lors du Forum Public "El Buen Vivir de los Pueblos Indígenas Andinos" (“Le Bon Vivre des Peuples Indigènes Andins”) qui s’est tenu le 28 janvier dernier au Congrès de la République du Pérou, un événement organisé par la CAOI.

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Nous présentons l’exposé qu’a fait Katu Arkonada, enquêteur et annaliste du Centre d’Études Appliquées aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels (CEADESC) et collaborateur de la Coordination Andine des Organisations Indigènes (CAOI).

L’exposé donné lors du Forum Public "El Buen Vivir de los Pueblos Indígenas Andinos" (“Le Bon Vivre des Peuples Indigènes Andins”) qui s’est tenu le 28 janvier dernier au Congrès de la République du Pérou, un événement organisé par la CAOI.

Katu Arkonada, crédits : Servindi

Crise de civilisation et "Vivre Bien"

Aujourd’hui personne ne doute que nous vivions quelque chose de (beaucoup) plus important qu’une crise financière. Nous vivons une crise financière, mais aussi épistémologique, sociale, politique, climatique, alimentaire ... en définitive, une crise de vie, de modèle structurel et de civilisation, occidental et moderne, bien sûr.

Rafael Correa, président de l’Équateur, dit que nous vivons une époque de changements, sinon un changement d’époque. Sans savoir si nous pensons au même paradigme, il est certain que la profondeur de cette crise structurelle nous fait regarder vers de nouveaux (bien qu’anciens) paradigmes de vie. Et là surgit avec force, l’idée que les peuples originaires de l’Abya Yala nous transmettent, celui de la culture de la vie, nourrir la vie, la vision communautaire ... ce nouveau paradigme que nous appelons Vivre Bien.

Deux matrices civilisatrices

Le Vivre Bien ne naît pas maintenant, c’est le produit de la conception millénaire du monde par les peuples indigènes du continent, de fait ce n’est pas un concept nouveau, même si précisément à l’époque actuelle il prend plus de force que jamais. Quand les ONGs ont commencé à se demander comment on pourrait traduire le terme développement en quechua, ils se sont rendus compte qu’il n’y avait pas de traduction, et la même chose est arrivée avec l’aymara, le guarani ... dans aucunes des langues des civilisations indigènes un mot n’existait pour désigner notre concept occidental de développement. Cette apparente contradiction reflète bien la division entre les deux matrices civilisatrices, entre orient et occident.

C’est pourquoi on a commencé à prendre les termes qui s’approchent du concept de Vivre Bien, Suma Qamaña en aymara, Sumaj Kausay en quechua, Ñande Reko (une vie harmonieuse) en guarani, Teko Kavi (la nouvelle vie) Ivi Maraei (une terre sans malheur) ou Qhapaj Ñan (un chemin ou une vie noble), les concepts que la nouvelle Constitution Politique de l’État Plurinational de la Bolivie (approuvée dans un référendum en janvier 2009) recueille déjà comme bases fondamentales quand il est question des Principes, des Valeurs et des Fins de l’État.

De la même manière le Vivre Bien est reconnu dans la Constitution Politique de l’Équateur, d’octobre 2008, qui a également fait un pas important avec la consécration des Droits de la Nature, parce que Vivre Bien c’est aussi sortir de la dichotomie entre être humain et nature, c’est de réveiller la conscience du fait que nous faisons parti de la Pachamama, de la Terre-Mère et avec elle nous nous complétons.

C’est bien intéressant, et il faut continuer d’approfondir dans leur développement, les formes hybrides qui existent entre les concepts des différentes matrices, dans notre cas avec le concept occidental et moderne, en tant que droits unis à un concept oriental et millénaire tel que la Pachamama, la Terre-Mère.

Une culture communautaire

Vivre Bien nous rapproche et apprend des concepts comme la complémentarité, la réciprocité, le comunitarisme (bien que l’on ne puisse pas comprendre la communauté comme un ensemble d’individus) qui heurtent frontalement nos schémas établis. La culture de la vie est communautaire, il ne peut en être autrement, face au capitalisme individualiste, un prédateur, ou même au socialisme qui bien qu’il soit préoccupé d’améliorer les conditions de vie de la société, il la comprennd seulement en tant que l’ensemble des personnes qui vivent, sans aucune considération pour laTerre-Mère en tant qu’être vivant, et qui peut devenir tellement industriel et prédateur comme l’est le capitalisme (bien que, et c’est un autre débat, peut-être que le socialisme communautaire est aujourd’hui la meilleure option pour l’Occident).

Ils nous ont éduqué et appris à vivre mieux, mais non à Vivre Bien. Et pour nous rapprocher réellement de ce concept, nous avons à nous déconstruire dans un processus complexe. Ne pas mettre JE en premier (le premier pronom dans les langues occidentales) mais NOUS (le premier pronom en quechua ou en aymara par exemple), ne pas voir le temps linéairement comme quelque chose, dans lequel prime l’individu qui vient du passé, se situe dans le présent et va vers l’avenir, mais le temps comme quelque chose de circulaire, dans lequel le présent est continu et le passé et le futur sont une seule est même chose, le passé est devant et l’avenir est à venir et est derrière.

Une décolonisation

Mais sur le continent américain, après 517 ans de colonialisme, nous ne pouvons pas concevoir le Vivre Bien sans l’unir à un vrai processus de décolonisation, comme nous ne pouvons pas concevoir cette décolonisation sans changer le paradigme de l’éducation.

Une éducation individualiste et basée sur un système compétitif, dans lequel l’individu est mesuré, jugé, à l’aulne des qualifications obtenues. Même dans les formes d’éducation plus humanistes nous suivons un schéma occidental, imposé par les colonisateurs. Nous formons de bons étudiants, avec une bonne éthique et une bonne morale, en suivant des schémas occidentaux, chrétiens, et pas des personnes qui vivent en harmonie avec elles-même, avec leurs semblables et avec la Terre-Mère.

Vivre Bien,Décolonisation... de vastes concepts qui méritent des débats plus en profondeur, de nous regarder vers l’intérieur et depuis l’intérieur, utiliser la nature, mais sans l’abîmer, rationaliser et redistribuer la consommation, non pour surexploiter les ressources naturelles que la Terre-Mère nous donne, en garantissant un avenir à tout ce qui vient apres nous, vivre en harmonie parmi les peuples, en êtant complémentaires les uns des autres, en pratiquant des formes de démocratie communautaire.

De nouveaux paradigmes

Evo Morales Ayma, président de l’État Plurinational de Bolivie, disait l’autre jour qu’avant les intellectuels en Europe pensaient et théorisaient, et qu’après en Amérique Latine on essayait de mettre en pratique ces théories, et aujourd’hui en revanche ici en Bolivie, en Amérique Latine, se produisent des processus de changement pour lesquels les intellectuels vont venir essayer de théoriser ce qui se passe. C’est sûr et certain, aujourd’hui notre nord c’est le Sud, la pratique des Peuples dans la recherche de nouveaux paradigmes pour surpasser la crise de civilisation nous a portés vers de nouvelles manières de faire de la politique, de reconsidérer l’État et les relations entre les personnes ainsi qu’une conscience autour de l’hécatombe climatique que nous sommes entrain de provoquer.

Toutefois beaucoup d’interaction reste encore entre la théorie et la pratique, pour arriver à une pratique politique quotidienne ayant pour but de nouveaux paradigmes, dans lesquels le Vivre Bien est un élément d’approche, d’apprentissage, de tout ce que les peuples indigènes ont à nous apprendre.

Source : Servindi "Bolivia : Crisis de civilización y Vivir Bien. Exposición de Katu Arkonada"

Traduction : Primitivi


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